Les enfants et la corrida
....... Il a été dit qu'il convenait d'interdire l'assistance a une corrida aux enfants de moins de 16 ans, en raison de la situation traumatisante qu'elle représentait. Je ne peux adhérer à cette opinion et je me permets d'en donner les raisons.
....... Scientifiquement, depuis Freud, il est reconnu qu'une situation est traumatisante :
.......- Premièrement lorsqu'elle produit une quantité d'excitations trop grande pour être régulée par l'appareil psychique, c'est le cas des grandes catastrophes naturelles, ou simplement de certains films.
.......- Deuxièmement lorsqu'elle peut renvoyer à des faits vécus passés douloureux, ou à des fantasmes qui ont leur importance car ils constituent une réalité psychique.
....... Il en résulte qu'il convient de prévenir les premières situations citées. On ne peut le faire pour les secondes car un incident anodin peut les déclencher ; par exemple le fermeture brusque d'une porte peut réveiller chez un enfant le souvenir d'une absence des parents vécue comme un événement douloureux et entraîner une turbulence intense.
....... Cela étant, il est donc possible que la mort d'un animal puisse apporter chez un enfant une excitation trop grande, traumatisante, et il appartient à l'adulte de la prévenir. Cela se fait par la parole qui explique les situations dans leur vérité avec des mots justes. Ainsi il conviendra de dire aux enfants côtoyant des animaux de ferme, comestibles, leur destin : l'homme pourvoit à tout ce dont ils ont besoin, les protège d'autres animaux, comme le renard, mais il y a une nécessité pour l'homme de se nourrir et un jour ils devront être saignés, fusillés, électrocutés.Dans le milieu rural, cette vérité est dite à l'enfant sans solennité, peu à peu, à partir des actes quotidiens de la vie, du récit de petites fêtes, du présent offert au voisin pour la mort du cochon, etc. ....... Il en est de même pour la corrida. Un enfant habitant la région des élevages de toros de corrida est au courant de leur combativité exceptionnelle. Il a assisté à l'expérience des tientas dès les classes primaires. Il a vu une vache entrer dans une arène, située à côté des prés de l'élevage, foncer plusieurs fois sur le picador qui jugera sa bravoure, puis sur le torero qui appréciera son jeu dans le ballet qu'est aussi la corrida, et il a pu observer que cette vache alors qu'elle est encouragée à sortir de l'arène par une porte ouverte sur les pâturages et le reste du troupeau, refusera de sortir pour continuer le combat. Il sait qu'un toro mâle fera la même expérience et que, si les deux sont sélectionnés, leur fils représentera l'élevage dans une corrida. ....... Aussi, ce jour-là, l'enfant comprendra les applaudissements accompagnant la combativité du toro, face aux picadors, banderilleros et au matador. Il percevra l'admiration des aficionados s'identifiant au toro, évoquant chez chacun Bayard, Cyrano de Bergerac, le meilleur Belmondo, et ces applaudissements seront donnés debout, quand il quittera, mort, l'arène, pour un derniers hommage. ....... On comprend que la corrida peut surprendre un spectateur non averti et en particulier un enfant, mais on comprend aussi qu'une explication des origines du toro de corrida dans toutes ses données détraumatisera.
....... Mais le psychiatre à l'égard de la corrida a plus à dire que la façon de prévenir un traumatisme. Le torero lui apparaît comme un personnage fondamental dans l'arène et tout autant au dehors. Dans l'arène parce qu'il doit solutionner la force et la combativité du toro pour réaliser avec lui une uvre artistique comparable à un ballet. Celle-ci réussie, on pourra voir souvent le torero, avant que le toro mort soit emporté hors de l'arène, de la main lui envoyer un baiser et lui adresser une caresse sur le front pour le remercier de sa complicité dans cette uvre. Nous le savons tous, les plus grands artistes et les plus grands littérateurs qui ont rencontré la corrida s'en sont abreuvés. Il serait dommage, pour ne pas dire cruel, d'en priver les enfants jusqu'à l'âge de 16 ans. Hors de l'arène, la conduite du torero reste un exemple. Il doit pour réaliser son uvre accomplir des gestes techniques précis aux bons moments, demandant maîtrise de soi, ténacité et courage. ....... Au cours de son éducation, l'enfant rencontre les exigences de ses parents, il les apprécie parce qu'elles lui sont expliquées et les perçoit comme nécessaires, et puis il apprécie aussi la valeur rencontrée chez d'autres personnes. La conjonction de ces deux aspects de valeur établit en lui ce que la psychanalyse appelle " l'idéal-du-moi " et qui est une sorte de programme d'obligations à accomplir dans la vie courante pour pouvoir s'apprécier soi-même. Le torero, pour l'enfant habitué des corridas, a cette place adjacente à celle des parents. ....... Cette place, bien sûr, n'est pas réservée au torero, d'autres enfants la rencontrent ailleurs, mais interdire une valeur acquise pour des enfants et empêcher l'ouverture pour d'autres serait désolant.
Dr Jean Maler.......... 6 octobre 2007..........
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