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LE TORERO AMNESIQUE par AXEL DUMOND

La remise du prix à Axel Dumond à Fontvieille en 2018

En 2018, l’association MEXICO AZTECAS Y TOROS lançait un concours littéraire consacré aux JEUNES PLUMES TAURINES.

Hélas ce concours n’existe plus , il avait récompensé Axel Dumond de Nimes, alors âgé de 14 ans, voici son texte .

Si cette aventure vous tente, nous pouvons lancer à la FSTF un concours semblable. Exprimez vous.

Le Torero amnésique par Axel Dumond

– Hé ! Hé ! Monsieur !

J’ouvris doucement les yeux… puis les ouvris brutalement. Un grand escogriffe se tenait devant moi, une casquette où il y a avait écrit « I love corrida » trônant sur sa tête.

– Hé ! Hé ! Monsieur ! reprit-il de sa voix de chèvre. Vous pouvez me donner une dédicace ? Je n’ai pas osé vous déranger dans votre sommeil, euh pardon, votre méditation… C’est que je n’ai pas l’habitude de parler à des stars de la tauromachie, je suis un de vos plus grands fans ! Tenez, j’ai même votre signature sur ma casquette. »

Il tourna sa casquette, ce qui lui donna un air encore plus stupide. Et là, une signature bizarre que j’étais sûr d’avoir déjà vue. Soudain, un monsieur à cravache euh… à cravate surgit. Il chassa le fanatique de ma vue. C’est là que je me rendis compte que j’étais allongé par terre, sur du gravier, dans une cour.

Derrière lui se trouvaient deux personnes toutes blanches, de la tête aux pieds.

– Alors, on a fait une petite chute ? questionna l’homme à cravate.

– C’est qui eux ? demandai-je.

– Des médecins.

– Pourquoi ils ne parlent pas ?

– Ils ne parlent pas la même langue, répondit-il.

– Ils parlent quelle langue ?

– On est en Espagne, ils parlent espagnol !

– Et nous, on parle quelle langue ?

– Français, voyons ! Et ce n’est pas la peine de faire de l’humour, la corrida a été annulée !

Encore ce mot !

– On a été obligé de vider l’arène ! continua-t-il.

– Une reine ? On est à côté d’un château ? questionnai-je, surpris.

– Mais non ! Les ARENES ! cria-t-il.

– C’est bon, on a compris, cool Raoul !

– Moi c’est Emmanuel.

En tout cas, cet Emmanuel avait tort. C’était bien un château qui me faisait face, même qu’il s’appelait « Plaza de Toros de Madrid ».

– Enfin, tu ne t’en souviens pas ?

– De quoi ?

– Tu te préparais pour le paseo quand un anti-corrida t’a poussé contre un arbre.

– Ah ?!

C’était à ce crétin que je devais l’énorme bosse sur ma tête.

– Mais, il y a une chose qui m’échappe (plusieurs même), qu’est-ce que c’est un « passéau » ?

– Tu es tombé sur la tête ou quoi ?! (ce qui était un peu vrai) cria-t-il, le visage rouge pétant… Bon, ne nous énervons pas, rajouta-t-il.

Moi, je ne m’énervais pas, c’était lui qui piquait sa crise d’hystérie !

– Je vais te ramener chez moi… Paolo ! Paola ! hurla-t-il.

Deux mastodontes arrivèrent sur moi pour me relever. Je me rendis compte que j’étais habillé d’un habit très brillant, mais démodé.

– C’est normal, c’est l’habit du torero, m’expliqua Paola.

Qu’est-ce que c’était encore cette histoire de « taurérau » ?

Les deux mastodontes m’escortèrent jusqu’à une voiture grise. L’endroit était désert, il faut dire qu’il était 20H00 et que j’avais un petit creux.

– Les gens sont partis, dit Emmanuel, la corrida était prévue à 17H00.

– Qui ?

– Les aficionados venus te voir !

– Ah ?

On arrivait à un rond-point. Au centre, des gens meuglaient en tenant des pancartes.

– Qui sont ces gens qui crient ?

– Ce sont les anti-corridas. Ils sont stupides, hein ? répondit-il.

Emmanuel semblait s’être calmé.

– En effet, dis-je.

En les regardant, je me dis que je ne comprendrais jamais ces gens-là.

On roulait maintenant sur une route de campagne. On arriva bientôt à la maison de ce « cher » Manuel. Les deux mastodontes nous quittèrent et il me fit entrer chez lui. Le mur était tapissé de photos, d’affiches, de têtes de euh, bref, de grands morceaux de tissus jaunes et rose, d’autres rouges, de longs bâtons piquants et de plus courts colorés.

– Et encore ! C’est pire chez toi ! raconta-t-il.

– Ah ?!

– Bon, reprenons à zéro…

On était à table en train de boire une limonade. Il me parlait de la tauromachie sous toutes les formes, sa culture, de « toro », la « corrida », le « torero » (il disait que j’en étais un de ces spécimens) et que le fanatique à casquette que j’avais rencontré n’était pas un anti-corrida, bien qu’il soit très énervant. Et j’étais très fatigué quand je partis me coucher.

Le lendemain, il me fit commenter la décoration de toutes les pièces jusqu’aux toilettes.

– Alors, ceci ? dit-il en me montrant les petites piques colorées.

– Euh… ? Des b… brochettes !

– Non, ce sont des banderilles. Et ça ? En me montrant le tissu rouge.

– Euh… ? Un m… mouchoir !

– Non, c’est une muleta, la cape du torero. Allons manger.

L’entraînement se poursuivit par un plat traditionnel de Madrid.

– Alors ?

– Hum… une queue de toro !

– Bravo ! Je ne te savais pas si gourmand !

J’eus donc droit à du saucisson de toro, du pâté de toro, de la saucisse de toro et de la viande… de toro.

Après manger, on prit sa voiture pourrie et on s’éloigna encore de Madrid et du château « Plaza de toros » qui voulait dire en fait « La reine des toros de Madrid ».

Après deux heures pendant lesquelles je m’efforçai de dormir, on arriva à une « ganaderia » où paissaient des bêtes à cornes sur des centaines d’hectares. La « ganadera » nous reçut devant un verre de vin (ça aussi, il faudra que je m’y habitue). On passa vite à la visite de l’élevage.

– On ne part pas dans ta voiture pourrie, j’espère ? demandai-je à Manuel.

– Non… puisqu’apparemment, elle est pourrie, répondit-il sèchement.

On partit donc en 4X4. La ganadera nous parlait dans notre langue. Son élevage était du noble Conde de SANTA COLOMA. Et elle critiquait un certain Monsieur DOMECQ.

Emmanuel m’expliqua qu’il s’agissait de races, de souches et d’encastes. Elle nous dit aussi que ses toros pesaient environ 500 kilos. Beaucoup plus que les deux mastodontes !

En 4X4, on allait quatre fois plus vite sur les terrains d’herbes sèches et d’oliviers inondés de soleil, et on s’approchait quatre fois plus des toros. Peut-être même un peu trop car au détour d’un chemin, nous rencontrâmes un de ces animaux qui nous faisait face. Tout d’un coup, il chargea. La ganadera s’agrippa à son volant, fit un crochet inespéré sur la droite et fila en quatrième vitesse.

– Olé ! criai-je, sans trop savoir pourquoi ni ce que cela signifiait.

Avec cette petite visite, on rentra tard chez Emmanuel. Il me dit avant de se coucher que le lendemain, on rentrerait en France.

– Ah ? répondis-je.

Je dormais bien, d’un sommeil de plomb, quand ce crétin d’Emmanuel ouvrit les rideaux.

– Debout ! railla-t-il. On part tôt aujourd’hui, on prend la voiture à 7 H00, prépare tes bagages !

Ce qui était inutile car à part ma tête, je n’avais rien à emporter. Cinq minutes plus tard, j’étais paré, assis à l’avant de la voiture pourrie de mon « manager ».

– Bon, on y va ? lançai-je par la portière.

Trente minutes plus tard, on roulait (doucement) sur l’autoroute pour aller en France. En roulant (doucement), il nous fallut vite prendre de l’essence. C’est alors que le pompiste se précipita sur moi.

– Qu’est-ce qu’il a, lui ? demandai-je à Manuel.

– Il veut faire une photo.

– De qui ?

– De toi !

– Ah ?

Un genre de fanatique quoi. Il me demanda de poser la main sur la pompe et il fit un selfie qui me prit par surprise. La pompe aussi ! Manuel dut payer deux fois plus à cause de l’essence qui débordait par litres entiers !

On repartit donc, ma photo dans les mains. A la prochaine poubelle, elle irait croupir dans les ordures.

Quelques centaines de kilomètres plus loin, alors qu’Emmanuel s’arrêtait pour se dégourdir les jambes, je me mis à la recherche d’une poubelle. Mais à la place, je trouvai une affiche de publicité pour la même marque d’essence, le même pompiste et moi-même posant sur la photo ! Il y avait marqué « Essence Voituro, l’essence du Torero ».

– Je suis célèbre ! dis-je à Emmanuel quand je revins à la voiture.

– Mais non ! Tu es célèbre comme torero ! répliqua mon manager rabat-joie.

– Ah ?

Le voyage vers la frontière entre la France et l’Espagne se passa sans histoire. On arriva bientôt à une ville qui se nommait Nîmes. Là aussi, il y avait un château, mais il était troué.

– Bienvenue aux arènes de Nîmes ! cria Emmanuel.

– Nous allons voir une corrida ?

– Oui et j’ai loué une salle d’entraînement pour que tu t’entraînes à toréer.

– Ah ? continuai-je.

La corrida était prévue pour le lendemain et Emmanuel m’emmena à « l’ Imperator ».

– Nous allons voir l’empereur ?

– Mais non, c’est un grand hôtel, on va voir les matadors.

Il gara sa voiture pourrie devant l’hôtel. Une foule de personnes se massait devant l’entrée. On réussit à se frayer un passage. Dedans, plusieurs toreros se prenaient en photo.

– Manu ! lança une femme.

– Josepha, répondit ce dernier ! Je te présente une amie, m’adressa-t-il, nous sommes dans le même métier.

– Bonjour ! Vous êtes déjà venu ici ? m’interrogea-t-elle.

– Euh, oui, je crois.

– Bon, je te laisse, dit Emmanuel.

Il m’abandonnait celui-là ! Tiens, et si j’allais aux toilettes ? Ça lui fera les pieds et il ne me trouvera pas. Je suivis donc les panneaux.

Les W.C. comportaient une petite fenêtre que j’ouvris car il faisait chaud. Je me lavais les mains quand j’aperçus une tête sortir de la fenêtre. Je l’observai un instant, stupéfait. Tout me revint ! C’était l’anti-corrida qui m’avait poussé contre un arbre à Madrid ! Il était donc en fuite !

Je redescendis en trombe. Aucun Emmanuel en vue ! Je finis par le trouver en train de discuter avec un certain CASAS.

– Oh ! Mais qui voilà ! s’écria ce dernier, un grand torero ! Entre nous, je peux vous faire un prix.

Non mais ! Pour qui il se prenait lui ! J’attrapai mon manager par la manche et l’emmenai plus loin.

– Dis-moi, l’anti-corrida qui m’a poussé contre un arbre à Madrid, on l’a attrapé ?

– Euh, je ne crois pas, répondit-il.

– Alors je peux te dire qu’il est là. Je viens de le voir par la fenêtre des toilettes.

– Tu en es sûr ? s’inquiéta-t-il enfin.

– Sûr.

– Tu en es certain ?

– Certain.

– Ça alors ! Alors, il faut y aller, continua-t-il, on dormira chez toi.

– Chez moi ?!

– Oui.

– Ah ?

Nous prîmes sa voiture pourrie et quelques minutes plus tard, nous étions « chez moi ». La salle d’entraînement se trouvait à côté de « ma » maison et on put partir à pied. Là, je fis des exercices avec un « capote » et une muleta.

Le soir, on rentra chez moi et je m’endormis dans la vaste chambre rouge qui était la mienne. La nuit passa vite.

Après le petit-déjeuner, nous partîmes avec la voiture pourrie d’Emmanuel. Il avait réussi à avoir deux places pour la corrida du matin (ou du midi, puisqu’elle était prévue à 11h30).

A 11H29, la Présidente de la course (bizarre, vu que ce n’était pas un marathon mais une corrida) arriva et à 11H30, le paseo commença.

Mais à cet instant, je reconnus l’anti-corrida de la veille. Il portait un col roulé bleu et un chapeau rabattu jusqu’aux yeux. Mais ce qui fut encore pire, c’est la vue du fanatique au 1er rang avec sa casquette !

Le toro noir sortit et le torero vint le cueillir à coups de capote et…

Il n’y avait que quelques mètres entre les deux personnages et…

Le picador se fit bousculer de plein fouet par le toro et…

Ils étaient à peu près à la même distance de moi et…

Le banderillero planta une paire de justesse et…

Tout rata, les deux semblèrent se reconnaître et…

Tout rata, le torero trébucha devant la bête et…

L’anti-corrida prit une bouteille de Perrier et…

Le toro sauta en contre-piste et…

Il la lança vers moi et… ma tête se mit à tourner, tourner, tourner…

Et je ne sais plus comment je me retrouvai dans l’arène, appelant le toro et faisant une faena magnifique. Ma mémoire était redevenue claire. Tous ces mots bizarres que j’avais appris sonnèrent comme une évidence.

Après l’estocade, Emmanuel se précipita sur moi :

– Fantastique ! Et cette fois, il n’était pas énervé. Tu as retrouvé la mémoire, l’anti-corrida a été arrêté… et tu donnes une conférence ce soir !

– Ah ?

Plus tard dans la soirée…

– Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de vous retrouver ici, pour fêter mes retrouvailles avec le monde taurin. Je voudrais remercier les gens qui m’ont permis de retrouver la mémoire (même ce crétin d’anti-corrida) ainsi que mes fans…

Le fanatique agita sa casquette et criant tellement fort que je craignais qu’il ne prévienne ses copains.

– Et tout particulièrement… Emmanuel !

Ah ! Je lui avais cloué le museau, je n’avais pas eu besoin de lui pour finir ma phrase ! Après tout ce qu’il m’avait fait suer !

Le Prix fut remis par Thomas Joubert assisté d’Alain Montcouquiol et de Philippe Caubère (ami du Président de MAYT Jean François Nevière)