La pandémie nous a fait toucher du doigt ce que pouvait être une année sans taureaux. À la suite de cette triste expérience nous avons eu droit aux prophéties annonçant un monde qui ne serait plus comme avant, un monde où les scories, excès et autres égarements seraient gommés par une envie de mieux vivre en harmonie en particulier avec la nature.
En matière de tauromachie, il n’y a pas eu les faillites annoncées et peu de renoncements à organiser des spectacles taurins sauf quelques aménagements à la marge qui ne modifiaient pas l’équilibre économique du secteur. Seuls les éleveurs ont été cruellement touchés par cette année blanche et ont dû réduire drastiquement pour certains les effectifs de leurs troupeaux, de plus, autre sanction, le marché de la viande s’est écroulé.
En 2022 tout est reparti comme en 14 avec une bonne fréquentation des arènes et sans que « le système » ne soit aucunement réformé. Chacun a retrouvé sa place sans imaginer ce monde nouveau plus prophétisé qu’espéré.
Où en sommes nous en 2023 alors que la temporada est en grande partie consommée ? À lire les commentaires des plumes taurines dites sérieuses en Espagne et en France et à courir les corridas de ville en ville quatre constats peuvent être tirés :
La fréquentation des arènes est en hausse notable par l’effet d’aspiration d’un Roca Rey taquilleriste avec un nouveau public jeune et peu connaisseur, ce qui est appréciable mais – risque de l’éphémère – nécessite de réfléchir à comment le fidéliser durablement.
Le mundillo juge le triomphalisme indispensable et l’organise pour fixer « cette nouvelle clientèle qui veut s’amuser », sic ! Aux gémonies les fondamentaux de la corrida et basta le règlement.
Côté toreros, une place plus importante est laissée aux jeunes professionnels mais c’est surtout le fait de l’indisponibilité de plus anciens.
Et côté taureaux ? Eh bien, côté toros, c’est la Bérézina !
Toute revue sérieuse de la presse taurine relate la présence généralisée en arènes de première catégorie de taureaux décastés, sans force et sans moral à l’exception notoire de quelques individus parmi les milliers combattus et aussi des quelques arènes bien connues qui priorisent le taureau brave, lesquelles – est-ce une surprise – ne sont pas des arènes commerciales. Le compte rendu des tiers de piques où même la mono-pique semble de trop, est à ce titre édifiant, le mundillo allant jusqu’à nous rétorquer que « la bravoure ne se juge plus au premier tiers », sic !
De plus, la présentation insatisfaisante du bétail est discrètement évoquée soulignant très souvent le manque de tête pour les animaux combattus. En termes clairs cela veut dire que les exigences des professionnels vont très au-delà de la pratique généralisée de la bolita, ce geste devenu systématique à l’enlèvement des fundas.
Alors on nous dit que la crise de l’élevage a induit une forte baisse de l’offre et une moindre exigence dans la sélection pour satisfaire la demande, situation qui devrait prolonger ses effets sur quelques saisons encore ; acceptons ce point de vue. Mais ne soyons pas naïfs, il n’explique pas tout.
Bafouer l’éthique qu’exige l’utilisation d’un animal en public et le respect de ce même public qui paye ses billets, renoncer aux fondamentaux, mais jusqu’à quand tiendra ce système bancal et inacceptable ?
Sauf rétablissement de la situation sur les dernières férias, ce qui serait étonnant, force sera de relever cette évidence qui devrait inviter toreros, apoderados, organisateurs, éleveurs, villes taurines… à s’inquiéter :
2023 aura été une année sans toros… bravos !