reseña par Jean Michel Sieklucki
UN MANO A MANO QUI NE DIT PAS SON NOM
Quand on programme une corrida mixte, elle se transforme souvent en mano
a mano tant la comparaison entre le rejon et la corrida à pied est difficile. Ce
fut le cas en cette tarde, ce qui ne retire rien à la performance du reJoneador,
on le verra.
Sous un ciel chargé de nuages menaçants la corrida n’attira qu’une moitié
d’arène. Les abstentionnistes eurent tort, comme toujours, car la tarde fut
intéressante et les trois belligérants sortirent a hombros.
Évoquons d’abord le rejoneador équatorien Alvaro Mejia. Il était chez lui
avec un public acquis d’avance. S’il fut correct à son premier toro qui n’avait
que peu d’intérêt, il montra toute la mesure de son alegria et de son talent
devant le second. Celui-ci avait une charge foudroyante et porteuse
d’émotion, mais n’ayant pas atteint son but, il partait dépité vers sa
querencia. Avec d’excellents chevaux bondissants et adroits, le maestro fit
une belle démonstration. On peut seulement regretter l’intervention à mon
avis excessive de son peon pour extraire l’animal des planches en vue de la
suerte finale. Il appartenait au cavalier de le faire. Cependant le tout fut
couronné de deux belles oreilles par un public en délire et un tour de piste
drapé du drapeau équatorien.
Restait l’opposition franco-espagnole de Juan Leal et de Gomez del Pilar. Je
serai sans doute taxé de chauvinisme en donnant ma préférence au français.
Il mena en effet deux combats extrêmement engagés contre deux toros
faibles et mansos de charges courtes. Il plaça deux estocades remarquables à
effet rapide au premier voyage. Le second toro fut foudroyé en quelques
secondes. Notons en plus que pour sacrifier au goût sud-américain il entama
ses deux faenas à genoux au centre de l’arène et de belle façon à chaque fois.
Il eut aussi à son second toro deux exceptionnelles véroniques mains basses en pivotant sur lui-même. A la muleta il donna de beaux derechazos compas
ouvert qui firent jouer la musique. Le torito, plus petit qu’un novillo de Vic,
fut rapidement vide de charge et Juan ne put que terminer sa faena dans les
cornes avant d’en finir par une media bien placée et de récolter une oreille
méritée. Son second toro, noir comme le premier, avait des cornes
légèrement plus larges. On vit une excellente paire de banderilles de l’un de
ses peons. Notons au passage que ces toros équatoriens de Mirafuente et
Vista Hermosa ne supportent qu’une pique et deux paires de banderilles,
faute de quoi le peu de force qui les caractérise serait épuisé avant la faena.
Ce second toro s’avéra lui aussi manso obligeant le maestro à le poursuivre
aux planches pour le toréer. Il le fit avec courage et fut pris, heureusement
sans gravité, en tentant de lui arracher des passes impossibles. Une
remarquable épée entière à effet quasi immédiat lui octroya une nouvelle
oreille, lui ouvrant ainsi la grande porte.
Gomez del Pilar ne brilla pas à son premier toro. Noir, petit et aux armures
modestes. Il donna une série de cape sans engagement ni esthétique suivie
d’une mise en suerte au cheval ratée. Il laissa ensuite son peon faire le
travail. Un de ceux-ci glissa à la pose des banderilles et fut secoué au sol. Le
toro faible tomba à plusieurs reprises. Debout, il fut désordonné avec une
tête mobile et peu de charge. Pour se donner du courage le torero enleva ses
zapatillas et grâce à bien des cris tira quelques passes intéressantes,
notamment à gauche. Comme le français, le maestro espagnol eut tendance
à toréer un peu trop le public, qui ne demande que ça. Le toro, mobile au
moment de l’estocade, reçut trois épées successives, la première ratée et
gardée en main, la seconde tapée sur l’os avant une troisième correcte.
Silence justifié du public.
Avec son second toro on vit enfin un animal qui ressemblait à un vrai toro de
quatre ans. Grand de taille avec un beau trapio et des cornes respectables.
Gomez del Pilar avait compris que ses deux camarades sortiraient a hombros
et qu’avec un tel toro il avait une chance de les rejoindre. Il donna une série
de cape, dont une à genoux, qui soulevèrent l’enthousiasme et fit une bonne
mise en suerte au picador. Il est intéressant de noter que celui-ci, Ernan
Tapia, torero équatorien célèbre et fort âgé de retour après une despedida
retentissante suite à l’arrêt des corridas à Quito, fût envoyé au tapis sans
ménagements, coincé entre le cheval et les planches et menacé directement
par le toro. Le maestro gonflé à bloc fit une entame de faena par doblones et
largas afaroladas. Nous avions enfin un toro qui chargeait spontanément et
longuement. Torero peu croisé à droite, davantage à gauche. Selon
l’habitude déplorable pratiquée également en Europe dès qu’un toro charge,
comme si c’était en soi exceptionnel, le public réclame l’indulto. Ce fût le cas
ici, alors que le torero n’avait pas encore pris l’épée les mouchoirs
fleurissaient déjà dans les gradins. Le président se faisant prier, Gomez del
Pilar, fort adroitement, fit comprendre au public qu’il allait montrer ce que
valait vraiment ce toro. Celui-ci, fatigué, tomba deux fois lors des séries
proposées ce qui n’empêcha pas la grâce d’être accordée face à un public
hurlant. L’intérêt pour le torero étant bien sûr d’éviter le risque d’une
estocade ratée qui aurait ruiné ses efforts.
Mais ne faisons pas la fine bouche, globalement la fête fût belle ce qui est
bon pour l’avenir de notre passion.